Quelle attitude face à la dépression, à l'anorexie...
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- Créé le jeudi 19 juillet 2012 11:54
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Cet article est la propriété de la Maison d’édition « Nouvelle Cité » de Paris
Il est tiré du mensuel Nouvelle Cité du mois de février 2006
Maladie mentale, troubles psychiques :
Briser le silence
Dépression, anorexie, psychoses, troubles du comportement ou de la personnalité… qui n’a pas été confronté personnellement ou dans son entourage à des troubles psychiques ? Comment repérer les symptômes et réagir à l’apparition de la maladie ? Quelle attitude avoir face à la souffrance ? Un médecin psychiatre nous éclaire.
Nouvelle Cité : La Journée mondiale des malades a pour thème cette année « maladie mentale et troubles psychiques ». Mais n’y a-t-il pas précisément confusion dans le grand public entre ces deux termes ?
Dr Marc ENEMAN : Il ne faut pas confondre maladie mentale et souffrance psychique. Vivre un deuil est une souffrance et non une maladie. Presque tout le monde connaît ou connaîtra dans sa vie une souffrance psychique. Il peut arriver de beaucoup souffrir sans être pour autant malade mental ; cependant, tous les malades mentaux souffrent. Il ne faut donc pas coller l’étiquette médicale de « maladie » à quelque chose qui est tout simplement humain.
N. C. : Quelles sont donc les caractéristiques principales qui définissent la maladie mentale ?
Dr M. E. : On peut retenir quatre critères précis qui définissent la maladie.
1- Il faut un comportement hors de la normale en fonction de la personne, de sa culture, des circonstances. Par exemple, quelqu’un qui est actif devient inactif ; ou bien, lorsqu’une maman ne s’intéresse pas à son enfant très malade ; ou encore, le comportement d’une personne qui est certes précise mais devenue trop rigide, incapable de s’adapter à la réalité.
2- Il y a toujours un aspect de gêne, de souffrance, d’empêchement de la part du malade en fonction de son environnement – et réciproquement –. Par exemple les réactions d’une jeune fille anorexique incapable de participer à un repas familial.
3- La maladie a des répercussions sur le fonctionnement de la personne quand il s’agit de travailler, communiquer, jouir/prendre plaisir, aimer les autres et soi-même. Ces 4 aspects étant la « signature » d’une bonne santé psychique.
4- Le phénomène s’inscrit dans la durée.
Une dernière précision : personne n’est malade psychique à 100 % – il y a toujours des éléments sains –, tout comme on ne peut dire qu’une personne est saine à 100 %. Aussi on ne peut réduire une personne à sa maladie.
Apprendre à déceler la maladie et à réagir
N. C. : Selon les statistiques de l’Organisation Mondiale de la Santé (rapport de 2001) un quart de l’humanité souffre – à un moment de sa vie – de troubles psychiques ou comportementaux. Quels sont les troubles psychiques les plus rencontrés dans nos pays occidentaux ?
Dr M. E. : Il s’agit principalement de troubles de l’humeur, dépressions, états anxieux ; de troubles d’adaptation, de décompensation psychique autrement dit le surmenage ; de troubles de la personnalité, caractériels ; de dépendances (alcoolisme, toxicomanie…) ; de psychoses. (Cf. encadré Repères) Il faut se méfier des chiffres ou plutôt les interpréter.
On répertorie aujourd’hui des troubles psychiques jusqu’alors inconnus, l’industrie pharmaceutique a tendance à faire prescrire toujours plus de médicaments… En fait, plutôt que d’affirmer qu’il y a augmentation, je mettrais plus en avant qu’il y a bien modification dans la nature des troubles et que cela dépend du cadre de vie. Par exemple, aujourd’hui, dans notre société occidentale, il y a moins de repères, de cadres, de structures qui, dans le passé, pouvaient permettre à des personnes fragiles de tenir debout. Il y a toujours influence de la structure et de la société sur les personnes. Toutefois, nous assistons à un changement de catégories, pour ne citer que l’augmentation des troubles de la personnalité.
N. C. : Comment apprendre à repérer, déceler, reconnaître qu’une personne de notre entourage – voire soi-même – donne des signes de troubles psychiques ?
Dr M. E. : Quand il y a un changement que l’on ne comprend pas ou un comportement étrange concernant les 4 points que j’ai nommés précédemment pour définir la ma-ladie mentale et que cela s’inscrit dans la durée. Quand on voit quelqu’un en difficulté, il convient de ni dramatiser ni minimiser, les deux étant dangereux. Par contre, si on peut faire quelque chose pour aider la personne en peine, le faire.
Parler ouvertement, éviter les mots qui cachent la réalité
N. C. : Quelle attitude adopter ?
Dr M. E. : Il est primordial de briser le silence, d’essayer de parler ouvertement du problème, de manière simple en évitant les mots qui cachent la réalité. Dire à un jeune qui a des idées suicidaires : « Tu es silencieux, je me fais du souci à ton sujet. Est-ce que tu ne déprimes pas ? » ou à une amie, à propos de son mari : « Il ne va pas bien, il risque de faire des bêtises. Ne crains-tu pas qu’il mette fin à ses jours ? » Il ne faut surtout pas laisser la personne isolée ; sinon elle se sentira encore plus exclue de son entourage, de la société.
Il n’y a rien de plus nocif que de laisser la personne malade seule, sans possibilité de s’exprimer. D’autant plus que certains malades ne se rendent pas compte par eux-mêmes qu’ils sont malades. Quand on en arrive à évoquer le problème de manière ouverte il n’y a pas beaucoup de mensonges qui s’expriment et beaucoup de vérité qui sort… Ce qui compte, c’est de ne pas fuir la situation.
N. C. : Il faut cependant ne pas présumer de ses forces et savoir faire appel à un thérapeute, à un spécialiste. Sinon, n’y a-t-il pas le risque que la personne qui accompagne le malade croule à son tour sous la charge à assumer ?
Dr M. E. : Avant tout, il ne faut pas craindre de consulter un professionnel, en commençant par le médecin généraliste – c’est une bonne entrée –, lui demander conseil, s’il faut aller plus loin. Si la personne malade refuse d’aller seule chez le médecin, lui proposer de l’accompagner. Si elle persiste à refuser, y aller sans elle, car il s’agit là d’une question de responsabilité. Il importe de demander un avis, de l’aide pour le malade. Mais avec prudence et discernement : on est père, mère ou ami et non médecin, thérapeute, professionnel. Il s’agit d’une autre relation.
Bien sûr qu’il est important de faire attention à soi-même et à ne pas tomber malade à son tour si l’accompagnement du malade exige trop d’attention, de surmenage. Il y a quelques règles simples à observer : prendre de la distance de temps en temps ; trouver un équilibre dans sa propre vie ; reconnaître qu’on est limité, qu’on ne peut pas être toujours disponible, qu’on ne peut pas tout faire ; chercher de l’aide auprès d’autres, d’un médecin, d’une structure médicale ou hospitalière. Prendre les moyens pour tenir dans la durée et la fidélité sinon on risque de craquer et de rompre encore plus brutalement l’accompagnement.
Enfin, il faut accepter qu’il y ait des questions auxquelles on n’est pas capable de répondre. Même les spécialistes n’ont pas réponse à tout ! Il y a des circonstances où il n’y a pas de réponse… et il ne faut surtout pas en inventer, en bricoler. Et garder présent à l’esprit que « quand il n’y a plus rien à faire, il y a encore beaucoup à faire… »
En général, pour chacun, malade ou non, il est important d’avoir un but dans la vie et de rester en lien avec d’autres personnes.
Le lien avec les autres est primordial
N. C. : La vie est difficile en soi, chacun rencontre des difficultés, des épreuves, la souffrance. La maladie psychique ne vient-elle pas précisément de ce que la personne refuse – plus ou moins consciemment – ces épreuves ?
Dr M. E. : Votre question laisse entendre que l’on deviendrait malade par incapacité à assumer les difficultés. Absolument pas ! La dépression, par exemple, est une maladie et non une faiblesse. Parmi les causes des maladies mentales – outre l’hérédité et les dysfonctionnements physiologiques du cerveau – il y a le vécu de traumatismes si forts qu’il est quasiment impossible de ne pas en tomber malade. Par exemple, un enfant qui a été négligé affectivement ou abusé sexuellement, n’arrive quasiment pas sans aide à intégrer de telles épreuves. La maladie devient une conséquence presque inévitable et surtout pas une preuve de faiblesse.
N. C. : Certes, ce sont là des cas graves. Mais en ce qui concerne les contrariétés et difficultés de la vie quotidienne. L’attitude de rejet que nous pourrions adopter en face d’elles ou notre incapacité à les gérer ne sont-elles pas à l’origine d’états dépressifs, d’anxiétés, d’insomnies, etc ?
Dr M. E. : Oui, à condition de rester seul avec son problème ! Car, en parler est un excellent médicament… sans effet secondaire ! Trop de personnes restent isolées alors qu’il suffirait de partager avec quelqu’un (et pas forcément un thérapeute !), son mari, sa femme, un ami.
Nous sommes tous régulièrement confrontés à la déception, à la honte, à l’échec, à la jalousie… Le problème n° 1 n’est pas tant de vivre ces difficultés que n’avoir personne avec qui en parler. Ensemble on fait preuve de plus d’intelligence et de sagesse quant aux décisions à prendre. Le lien avec les autres est primordial pour la santé psychique. Inversement, l’isolement est dangereux : il crée des mécanismes nocifs et prédispose à la maladie, aux troubles psychiques. Partager ses misères, c’est aborder la souffrance en lui donnant un nom, en l’identifiant, en s’y confrontant… Une démarche qui est un réel signe de santé psychique. Exprimer ce qui fait mal, cheminer à travers la souffrance fait grandir et rend plus fort… contrairement aux tranquillisants. À travers la souffrance, on étudie à l’université de la vie.
Propos recueillis par Alain BOUDRE
• Le Dr Marc Eneman – 53 ans – est médecin psychiatre depuis une vingtaine d’années. Il exerce actuellement dans un centre de soins psychiatriques des Frères de la Charité à Bierbeek en Belgique.
Repères
• Une maladie mentale est une affection qui perturbe la pensée, les sentiments ou le comportement d’une personne de façon suffisamment forte pour rendre son intégration sociale problématique ou pour lui causer souffrance. Liste et syndromes des maladies mentales sur http://fr.wikipedia.org/wiki/Maladie_mentale
• Selon l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) une personne sur quatre présente un ou plusieurs troubles mentaux ou du comportement au cours de la vie, dans les pays développés comme dans ceux en développement. L’Atlas de la santé mentale montre que les ressources mondiales consacrées aux personnes atteintes de troubles mentaux et neurologiques sont loin de permettre de faire face à la charge croissante des besoins dans ce domaine et sont réparties de manière inégale dans les différentes parties du monde. Plus d’informations sur
www.who.int/topics/mental_health/fr
• Selon le Secours Catholique Français, les dépressions déclarées ont été multipliées par 6 en 30 ans. Les troubles psychiatriques sont la 2e cause d’appel des SAMU.
• À l’occasion de la XIVe Journée mondiale du Malade qui aura lieu le 11 février 2006 […] l’Église catholique « désire se pencher avec une sollicitude particulière sur les malades, en mobilisant l’attention de l’opinion publique sur les problèmes liés aux troubles psychiques, qui constituent une véritable urgence sanitaire. […] Dans les pays qui vivent un développement économique important, les experts reconnaissent comme étant à l’origine des nouvelles formes de mal-être mental l’incidence négative de la crise des valeurs morales. Cela accroît le sentiment de solitude, mine les formes traditionnelles de cohésion sociale, et forment même des clivages, à commencer par l’institution de la famille, et marginalisent les malades, surtout les malades mentaux, considérés souvent comme un fardeau pour la famille et la communauté. […] La prochaine Journée mondiale du Malade est une occasion opportune pour manifester de la solidarité aux familles qui ont à charge des personnes malades mentales. »
Témoignage
Un tremplin vers l'essentiel
Comment réagir par rapport à la famille et à la société, lorsqu’on se trouve confronté à la maladie mentale d’un de ses proches ? C’est ce qui est arrivé à Nicole…
Il y a 36 ans naissaient ses deux jumeaux. Assez vite elle se rend compte que l’un des deux a un comportement différent de la « norme ». C’est en fait un enfant psychotique. Et à partir du moment où ce handicap est décelé, sa vie à elle devient dépendante de celle de son fils. Nicole habite à ce moment-là Paris, où elle est assistante sociale. Son fils est d’abord envoyé en Bretagne pour y suivre un travail psychanalytique qui se révèle très bénéfique pour lui. Il habite dans une famille d’accueil et passe la journée à l’hôpital de jour où il apprend à lire, à écrire et à compter. Dès qu’elle le peut, Nicole demande sa mutation et le suit en Bretagne. Et dès lors, toutes ses relations, toutes ses activités se décideront en fonction de lui. Avec le recul, Nicole ne regrette rien, au contraire : « J’ai rencontré, grâce à Jean, le meilleur de la société humaine. Les relations médiocres n’ont pas résisté. Je n’ai pu tisser des liens qu’avec des gens de cœur et d’esprit, capables de l’accueillir tel qu’il est. »
Grâce à son fils, elle entre en contact avec plusieurs mouvements qui l’enrichissent énormément : Foi et Lumière, les Focolari, l’Arche de Jean Vanier. Professionnellement aussi, dans son travail d’assistante sociale, Nicole devient beaucoup plus compétente et se spécialise dans le domaine des pathologies psychiques et des jeunes en difficulté. Elle ne prétend pas que la vie a été facile. Pour l’autre jumeau aussi la réalité a été douloureuse. Mais tous deux s’aiment énormément et il est devenu le principal « curateur » de son frère. Jean est à présent un jeune homme autonome, qui habite dans un studio proche de sa mère, tout en travaillant dans un CAT de l’Arche. Conscient de son handicap, il souffre certainement de la solitude qu’entraîne sa difficulté à échanger. Mais quand il se trouve avec des gens qui l’accueillent bien, tout se passe pour le mieux. Ainsi, autour d’eux, tout ce qui est superficiel est tombé de lui-même. « Grâce à Jean, reconnaît Nicole, ma vie a pris un sens profondément heureux. »
Sylvie GAROCHE